Monde à l’envers entend publier régulièrement des témoignages. Il s’agira à chaque fois de donner la parole à une personne ayant été personnellement confrontée à une situation digne du monde à l’envers. Aujourd’hui, je laisse la parole à Jean-Baptiste, un ingénieur de 41 ans.
------
Un matin, j'ai eu un malaise qui m'a valu de tomber dans les pommes et de rester inconscient durant une vingtaine de secondes. Les pompiers me sont venus promptement en aide et m'ont emmené illico aux urgences de l'hôpital public le plus proche. Là, on s'est rendu compte que j'étais victime d'une "fibrillation auriculaire" c'est-à-dire une arythmie cardiaque (que je pouvais d'ailleurs constater par moi-même une fois le moniteur cardiaque branché). On m'a donc tout naturellement hospitalisé en "soins intensifs" où mon état était suivi en permanence et mon sang fluidifié (car l'arythmie favorise la formation de caillots). Normalement, quand on est en "soins intensifs" on se retrouve dans une chambre individuelle, ce qui permet d'adapter au plus près les conditions d'hospitalisation à celui ou celle à qui on prodigue des "soins intensifs".
Mais voilà, il n'y avait pas assez de place et l'on m'a mis en double dans une chambre avec un autre monsieur qui avait également eu une urgence cardiaque. Cela ne m'a pas dérangé le moins du monde: il s'agissait pour moi de prendre du repos au maximum en dormant le plus clair de mon temps et, éventuellement, de lire un peu durant les heures que j'allais passer dans ce service de "soins intensifs". La compagnie d'un autre malade ne m'indisposait pas du tout, cela m'était même très sympathique de partager la chambre d'un compagnon d'infortune.
Le hic, c'est que l'hôpital, dans un élan de bienveillance envers tous ces malades cloués au lit de par leur besoin de "soins intensifs", avait fait installer quelques semaines plus tôt la télévision dans toutes leurs chambres. Or, si la présence d'un appareil si sonore dans des chambres individuelles ne fait pas problème, elle risque fort d'être génératrice de conflits dès que l'on se retrouve à plusieurs. Hélas, des casques avaient bien été prévus mais ils n'avaient plus de piles! Comble de malchance, mon cothurne était manifestement un asiatique féru de dessins animés japonais terriblement bruyants. Et quand je dis "féru", je pèse mes mots: qu'il fasse nuit, qu'il fasse jour, il était littéralement rivé durant des heures et des heures sans interruption devant un vacarme audio-visuel permanent. Il ne comprenait pas non plus le français, ou alors il faisait semblant.
Inutile de vous dire qu'au bout de quelques heures d'un tel traitement, je commençais sérieusement à me demander si les soins prodigués par mon épouse à moi dans notre maison douillette, soins certes peu professionnels, soins certes probablement pas aussi "intensifs", n'auraient pas été tout de même d'une efficacité médicale au moins égale et ce, à un coût bien moindre pour la collectivité.
Alors, oui, j'ai osé demander au personnel infirmier de bien vouloir trouver une solution au problème car, voyez-vous, je suis censé me reposer et faire l'objet de "soins intensifs" afin de favoriser le retour à la normale de mon rythme cardiaque et d'éviter une récidive. Le bruit télévisuel permanent m'avait flanqué un mal de crâne carabiné et, il faut le dire, j'étais dans un état de mal-être désespéré, ne pouvant ni dormir, ni lire, et encore moins apprécier les dessins animés japonais. La réaction de l'infirmière fut d'abord d'en référer au médecin de garde qui, dans un éclair de génie thérapeutique, me prescrivit la prise d'aspirine afin de soulager mes maux de tête.
Vous allez me prendre pour un grincheux, mais bizarrement, cette "solution" à mon problème me laissa un goût amer dans la bouche (pourtant, d'habitude, j'aime bien le goût de l'aspirine). Je n'eus pas l'honneur de voir le médecin de garde lui-même, avec qui j'aurais pourtant bien volontiers partagé mes interrogations sur ses protocoles thérapeutiques. J'osai suggérer à l'infirmière qu'au lieu de tenter vainement de contenir des symptômes, il serait peut-être plus judicieux de s'attaquer à la cause du mal et de rétablir dans notre chambre les conditions qui siéent à un service de "soins intensifs". Et là, ce fut le pompon (ou le monde à l'envers si vous préférez): Mme l'infirmière en chef pris un ton d'admonestation envers l'enfant gâté que j'étais et me gronda de faire preuve de si peu de tolérance. C'est curieux d'entendre son propre moniteur cardiaque renvoyer l'écho sonore de son état intérieur, comme un allié fidèle qui exprime tout haut ce que je pensais tout bas de cette grosse truie bouffie d'ignorance.
Enfin, sur le coup des 23h00 (j'avais été admis à 9h00), on suggéra à mon cothurne de bien vouloir, dans un esprit de coopération et de bonne volonté, couper le son de sa télé.
Je crois qu'il ne dormit pas de la nuit. En effet, lors des nombreuses fois où je fus réveillé en pleine nuit et en sursaut par les bruits de plateaux, les conversation sonores et les rires de gaîté du personnel médical (je suppose qu'une ambiance trop feutrée aurait nui à la mobilisation de tous instants de leurs facultés), je constatai que mon camarade téléspectateur était toujours rivé, les yeux grands ouverts, sur des mangas animés muets.
Depuis, lorsqu'en conduisant, je vois un panneau "SILENCE HOPITAL", j'ai comme une envie furieuse de klaxonner.
C'est surréaliste ! Et ce serait bien d'en parler davantage !
Rédigé par : Marie | samedi 04 mars 2006 à 14:17
Bonjour Marie. Comme tu le dis, c'est totalement surréaliste. D'ailleurs, depuis que j'ai publié cette histoire sur mon blog, beaucooup de personnes de ma connaissance m'ont parlé d'expériences analogues dans le milieu hospitalier. A la réflexion, je me dis que le besoin d'éthique se fait de plus en plus sentir dans notre société, et que ce besoin devient pressant dans les domaines telles que l'éducation ou le soin aux malades.
Rédigé par : Steph | dimanche 05 mars 2006 à 01:34