Une question qui tue.
C'est pourtant ce que me répondent de plus en plus fréquemment mes élèves (tous en classe de terminale, donc des grands !), lorsque j'ai l'audace de leur demander de distribuer un texte, d'aller fermer une fenêtre ou la porte qu'ils ont eux-même omis de fermer.
Ce matin, j'ai fait l'affront à l'un d'entre eux : "pourriez-vous, s'il vous plait, distribuer les copies ?" "Vous me payez combien ?" a-t-il cru malin (et sans doute original) de répondre.
Que tout travail mérite salaire, soit. Mais alors, d'où vient que ceux-là mêmes qui réclament un salaire pour tout service rendu, vous tiennent pour vénale lorsque vous leur rappelez que votre contrat de travail ne stipule pas tout ce qu'ils exigent de vous.
C'est une contradiction qu'il me faudra sans doute leur expliquer un jour. Mais ce matin, la question m'a tuée, et c'est pourquoi j'ai fait la morte.
J'en connais même qui disent, parlant à leurs parents : "vous, on vous paye bien pour aller travailler, alors pourquoi nous, on ne nous paye pas pour aller à l'école ? C'est pas juste !" ;-)
Rédigé par : Anton | samedi 25 février 2006 à 17:52
Ce que vous dites me fait penser au récit d'un copain Suédois qui enseigne le français...en Suède. Dans son lycée, le directeur de l'école, pour motiver les élèves à plus d'assiduité, avait décidé qu'une rose serait offerte à chaque élève présent. Grandiose !
Rédigé par : Steph | samedi 25 février 2006 à 19:59
À la question qui tue "vous me payez combien" (ah, l'humour potache...) je verrais deux réponses, l'une humoristique aussi, l'autre sérieuse.
Réponse ironique : "Rien du tout ! Vous savez bien que je suis un vil exploiteur." Ou ça marche (si l'élève a le sens de l'auto-dérision) ou ça envenime les choses.
Et puis la réponse sérieuse : rappeler tranquillement qu'en classe, on n'apprend pas seulement la philo ou les maths, mais aussi la vie en société, et que faire sa part des tâches d'intérêt commun (distribuer des feuilles, ne pas oublier de fermer la porte etc.) fait partie de cet apprentissage. La contrepartie est donc déjà incluse. Cela ne mettra peut-être pas de plomb dans la tête de certains cossards indélébiles, mais cela pourra éviter que les autres les prennent (trop) au sérieux. S'attendre tout de même à un débat (de fond, mais cela peut prendre un petit moment) sur les rôles respectifs des enseignants et des élèves.
Rédigé par : Account Deleted | lundi 27 février 2006 à 13:15
J'ai été surprise par le manque de tact de certains professeurs...Nous sommes en cours de littérature et le professeur qui avait employé le mot "iconoclaste" plusieurs fois, nous demande si l'on a des questions. Un élève lui demande donc la signification de ce mot. Et là, elle le regarde et lui dit: VOUS ne savez pas ce que veut dire le mot iconoclaste? comme pour mettre l'accent sur l'impertinence de sa question? Gené, l'élève baisse sa tête. Elle finit par lui donner une définition tout en manifestant, sans doute, malgré elle, un léger mépris...
Le lendemain, je vais à mon cours d'allemand. Le professeur nous demande si l'on connait le tableau "la Goulue" de Tolouse Lautrec. Personellement, je connaissais ce peintre, célèbre pour ses peintures du Moulin Rouge mais j'ignorais l'existence du tableau intitulé "la Goulue". Face au silence des élèves et à un timide "non" collectif, elle nous dit: "Incroyable, il y a dans cette classe un déficit culturel affligeant"...Faut tout de même relativiser, il ne s'agissait pas d'un tableau archicélèbre au même titre par exemple que "Le déjeuner sur l'herbe" de Manet...Bref, là n'était pas la question.
En effet, inutile de vous dire à quel point j'étais particulièrement choquée par ce genre d'attitude. C'est pour moi antipédagogique. On peut evidemment dire qu'il serait bien de jeter un coup d' oeil sur ses autres oeuvres si on ne connait pas le tableau en question. Mais il y avait quelque chose de condescendant dans le ton employé par ces deux professeurs.
J'ai fini par me demander: qu'est -ce que signifie "être cultivé" ? Souvent, on a une certaine fascination pour celui qui l'est. Mais justement, cette obssession ne serait-elle pas la cause d'une ceraine fracture "sociale" entre les individus. On méprise celui qui n'a pas de culture et on admire celui qui en a . En somme, on essaye de quantifier les connaissances "générales" de l'autre comme s'il s'agissait d'un Absolu. Je ne sais pas si je suis claire...
Rédigé par : Samira | lundi 27 février 2006 à 20:48
Merci Irène pour ces deux suggestions. Dommage que j'ai manqué d'à propos pour la permière, car elle me va comme un gant.
Quant à la seconde, elle eut exigé que je maîtrise mon agacement. Maintenant que c'est chose faite, je m'en vais la tester dès demain. Je suis convaincue en effet qu'il est essentiel d'expliciter aux élèves ce que l'on attend d'eux, non pas uniquement en tant qu'élève mais en tant qu'être humain. Mais d'expérience, j'ai vu que tant qu'on ne maîtrise pas sa colère, les paroles sont sans effet.
Rédigé par : Steph | lundi 27 février 2006 à 20:59
Et rappeler aussi que ce ne sont pas les élèves qui paient les professeurs... Les profs et les élèves ne sont pas dans une relation employeur/employé.
Rédigé par : Philippe. | mardi 28 février 2006 à 08:47
Intéressant aussi le témoignage de Samira. (Au fait, pas d'inquiétude, c'était très bien écrit.) Des professeurs (par manque d'habitude, de patience ? allez savoir) se comportent avec les élèves comme si ceux-ci devaient déjà savoir employer les outils et connaissances qu'ils sont justement là pour apprendre !
Cela se rapproche de ce que disait Steph : bien expliciter ce que l'on attend d'eux en tant qu'élèves mais aussi êtres humains. En tant qu'êtres humains, ils ont droit au respect de leur personne. En tant qu'élèves, l'école doit être là pour les faire progresser.
Je me rappelle un épisode similaire : au CM1, en cours "d'éveil", l'instit nous montrait des reproductions de tableaux de Van Gogh. Un gamin, impressionné, s'exclame : "Fan, y dessine bien !" (On était à Marseille...) Et l'instit de monter sur ses grands chevaux : comment, c'est tout ce que tu trouve à dire, "y dessine bien"... Je me souviens, même à l'âge de 10 ans, de m'être dit que si elle voulait que les élèves s'intéressent à l'art, il aurait mieux valu les encourager à s'exprimer avec les mots qu'ils avaient, plutôt que de les prendre de haut.
Rédigé par : Account Deleted | mercredi 01 mars 2006 à 01:03
Je reviens sur le problème initial, n'y aurait-il pas dans tout cela un vrai problème qui est que dans notre société actuelle, plus rien ne se fait "gratuitement" ? Que le sens de l'effort n'a plus de valeur ? Que l'image que véhiculent nos médias, avec les jeux où on peut gagner plein d'argent sans rien faire, où on devient star de la chanson en quelques semaines, où finalement le vrai sens de la vie est dévalorisé, est en train de bousiller toute une jeunesse qui ne veut plus se fouler pour quoi que ce soit ?
En attendant, j'observe les jeunes de pays comme l'Inde ou la Chine où j'ai eu la chance de séjourner, et où ce type de remarque auraient provoqué un véritable scandale... A tel point d'ailleurs qu'il serait inimaginable que des jeunes se permettent de dire ce genre de chose en classe... Autre culture ? Ou problème de société en France ?
Rédigé par : Anton | jeudi 02 mars 2006 à 20:46
Ca y est, comme je l'avais annoncé, j'ai mis en oeuvre la solution 2 suggérée par Irène. La prédiction était exacte, ca nous a pris un peu de temps, mais un temps qui fut philosophiquement et humainement intense. J'ai commencé par leur demander ce qu'ils auraient répondu à ma place et à partir de leurs réponses, nous en sommes venus à parler des conditions de la vie en commun et de l'apprentissage du savoir vivre. L'auteur de "la phrase qui tue" a expliqué qu'il avait voulu plaisanter, ce qui nous a conduit sur un autre terrain. Nos plaisanteries sont-elles toujours anodines ? j'ai défendu l'idée que certaines d'entre elles ont le tort de véhiculer des préjugés, des idées toutes faites contre lesquelles il faut parfois batailler ferme pour avoir raison d'elles. Au fond, nos plaisanteries sont révélatrices de notre état d'esprit. En l'occurence, il s'agit bien d'un état d'esprit qui réflète, comme le précise Anton, celui de la société dans son ensemble. Mais puisque la société est faite des individus qui la composent, à défaut de pouvoir agir sur les structures sociales, au moins nous est-il permis de changer les personnes, à commencer par nous-mêmes (ce qui n'est pas la moindre affaire).
Rédigé par : Steph | vendredi 03 mars 2006 à 13:00