Confronté à l’insolence d’un élève, difficile de ne pas se mettre en colère ! Ce qui nous met en colère, c’est que l’insulte provient d’un « inférieur » qui ne reconnaît pas sa position par rapport à nous, et qui de ce fait nous considère et nous traite comme un égal, quand ce n’est pas carrément comme un « inférieur ». C’est ainsi qu’un élève auquel je venais de faire remarquer qu’il avait eu des propos insolents, me répondit du tac au tac : « mais Madame, c’est vous qui êtes insolente ! ». L’insolent ressemble à cet esprit boiteux dont nous parle Pascal. Il nous irrite plus qu’un boiteux « à cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons. » Et nous pouvons appliquer à l’insolence la conclusion que tire Pascal de cette situation : « sans cela nous en aurions pitié et non colère. » Cette colère, que nous avons facilement tendance à justifier comme le refus de se laisser insulter par nos élèves et par le désir légitime de leur apprendre « les bonnes manières », est-elle pour autant la meilleure façon de réagir ?
Débutant alors dans le métier d’enseignant, la réponse de cet élève m’avait fortement agacée. Tout en cherchant à contenir ma colère, j’avais demandé au garçon d’aller chercher au CDI un dictionnaire et de lire à haute voix, devant tous ses camarades, la définition du terme « insolence ». Lorsqu’il eut fini sa lecture : « … propos injurieux de l’inférieur au supérieur », j’avais lâché d’un ton sarcastique : « comme vous le voyez, il ne saurait y avoir d’insolence de moi à votre égard ! ». Cette phrase en avait fait rire certains, amusés de voir leur camarade se faire humilier en public. Mais elle avait surtout déclenché de vives protestations de l’élève en question : « Ah ouais, vous vous croyez supérieur à moi, c’est ça ? Mais que je sache, tous les hommes sont égaux, non ? ! » J’avais donc réussi à toucher mon agresseur, à le mettre dans le même état de frustration et de colère que celui dans lequel je m’étais retrouvé cinq minutes auparavant ; je m’étais vengé de l’insulte, mais pour quel résultat ? Je me suis fait un ennemi de cet élève, qui a dès lors pris le pli de sécher régulièrement mes cours, et quand il daignait venir, de s’assoupir au fond de la classe ou de se faire expulser. Aurais-je du réagir autrement ? La réponse n’est pas évidente, car cette réaction a bien eu un effet positif : elle m’a permis d’affirmer mon autorité encore fragile sur la classe. Mais sur l’élève en question, il est évident qu’un travail de plus longue haleine aurait été nécessaire pour introduire en lui un changement.
Cette anecdote illustre ce qui est en jeu quand l’enseignant réagit de manière pulsionnelle aux manquements d’un élève. En se mettant en colère, il ne fait en réalité qu’opposer à la pulsion première une autre pulsion, qui, d’un point de vue moral, n’a pas plus de légitimité que celle de l’élève. Il est certes tout à fait envisageable – et c’est d’ailleurs ce qui se produit souvent – qu’en réagissant de manière pulsionnelle, il le conduise à renoncer à l’insolence. Mais ce dernier y renoncera pour des raisons extérieures à lui, notamment par crainte de la sanction, des sarcasmes ou de la colère d’un plus fort, d’un plus intelligent ou cultivé que lui, et non pour des raisons intérieures, comme par exemple la crainte de perdre l’estime d’autrui ou la conscience du caractère irrespectueux de son comportement. L’élève n’aura donc pas compris la vraie raison pour laquelle il ne doit pas répondre par l’insolence à la frustration imposée par ses professeurs. Il se soumettra éventuellement à leur pouvoir, comme l’esclave à son maître, mais il n’aura pas intégré le principe de respect. Et comment pourrait-il éprouver un tel respect envers une personne qui, en cédant elle-même à ses pulsions, s’est mise au même niveau que lui ?
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