Etonnée de voir mes neveux ponctuer leurs texto, emails et coups de fils de « je t’aime » et autres marques d’affection incongrues, un peu gênée d’entendre ma nièce de 15 ans déplorer haut et fort l’absence de « beaux gosses » dans son lycée ou certains de mes élèves s’extasier de ce que M. O, leur professeur de mathématiques (un quadragénaire chez lequel je n’avais rien perçu de sexy !), a de jolies fesses, je me suis demandée d’où leur venait cette forme d’impudeur à exprimer leurs émotions aussi bruyamment !
Je me suis alors rappelée de ce que disait Oscar Wilde. A savoir, que ce n’est pas l’art qui imite la nature, mais la manière dont nous percevons la nature qui imite la manière dont l’art nous la présente. Chacun serait ainsi condamné à ne voir dans la nature que ce que la représentation artistique de son temps lui a appris à y voir. Mais cette imitation, de toute évidence, ne s’arrête pas là. Le comportement humain lui-même ainsi que la manière dont nous exprimons et vivons intérieurement nos émotions est à l’imitation des modèles proposés par l’art et de manière plus générale par les représentations collectives d’une société. Ainsi, m’était-il donné à contempler « dans la réalité » l’imitation de ce que la téléréalité nous donne à voir des relations humaines : des sentiments superficiels, creux, exprimés de manière ostentatoire et exagérée, et ce d’autant plus qu’ils correspondent à une déficience affective réelle. L’art n’est donc plus seulement le modèle, il vient combler ce qui manque au réel pour être à la hauteur de nos espérances.
" Qu’est-ce donc que la Nature ? Elle n’est pas la Mère qui nous enfanta. Elle est notre création. C’est dans notre cerveau qu’elle s’éveille à la vie. Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons, et comment nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés. Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents. On ne voit quelque chose que si l’on en voit la beauté. Alors, et alors seulement, elle vient à l’existence. A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J’ose même dire qu’il y en eut. Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d’eux. Ils n'existèrent qu’au jour où l’art les inventa. Maintenant, il faut l’avouer, nous en avons à l’excès. Ils sont devenus le pur maniérisme d’une clique, et le réalisme exagéré de leur méthode donne la bronchite aux gens stupides. Là où l’homme cultivé saisit un effet, l’homme d’esprit inculte attrape un rhume.
Soyons donc humains et prions l’Art de tourner ailleurs ses admirables yeux. Il l’a déjà fait, du reste. Cette blanche et frissonnante lumière que l’on voit maintenant en France, avec ses étranges granulations mauves et ses mouvantes ombres violettes, est sa dernière fantaisie et la Nature, en somme, la produit d’admirable façon. Là où elle nous donnait des Corot ou des Daubigny, elle nous donne maintenant des Monet exquis et des Pissarro enchanteurs. En vérité, il y a des moments, rares il est vrai, mais qu’on peut cependant observer de temps à autre, où la Nature devient absolument moderne. Il ne faut pas évidemment s’y fier toujours. Le fait est qu’elle se trouve dans une malheureuse position. L’Art crée un effet incomparable et unique et puis il passe à autre chose. La Nature, elle, oubliant que l’imitation peut devenir la forme la plus sincère de l’inculte, se met à répéter cet effet jusqu’à ce que nous en devenions absolument las. Il n’est personne, aujourd’hui, de vraiment cultivé, pour parler de la beauté d’un coucher de soleil. Les couchers de soleil sont tout à fait passés de mode. Ils appartiennent au temps où Turner était le dernier mot de l’art. Les admirer est un signe marquant de provincialisme."
O. Wilde Intentions, le Déclin du mensonge.
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